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La Ville Déchirée,

par Mohamed Salah Belabed



Oh ! Mon beau pays, on cherche ton lustre d'antan ?
Tu supportes les avanies, encours le mépris
Tes astres sous l'éteignoir depuis longtemps
Le joug tu subis, sans connaître les causes, autant
Tu restes incompris jusqu'à l'instant d'aujourd'hui

Ta presqu'île ô Collo la perle phénicienne !
Promontoire de triton, cap à sept branches
Ton nom mêlé au sang qui coule dans nos veines
Nous sommes touchés, par tes douleurs anciennes
Et la mélancolie de tes sombres nuits blanches

Jeunes, nous parcourions ta sublime enceinte
Malgré sa splendeur, reste encore mal connue
Ton âme angoissée par l'invincible étreinte
Ton coeur à force d'être plein, ne murmure aucune plainte
Hélas en peu de temps qu'es tu devenu ?

Honte à eux ! le supplice qu'on t'a fait subir
Les drames et les crimes que leurs mains ont signés
Les tourments et l'horreur que les lèvres n'osent pas dire
Ne sachant point pardonner ou maudire ?
Reclus dans ton coin, des privilèges éloigné.

Ton état précaire semble un secret, un mystère
Ainsi qui manoeuvre et qui combine à ton insu
Enfoui sous un tamis pour cacher ta misère
Ton mal sans espoir, aussi on veut le taire
On ne propose aucun remède au fatum, sans issue

Indifférents, non enclins aux notions de civisme
L'existence d'autrui, leur semble illusoire
Leur dogme farouchement opposé à l'altruisme
Tout s'écroule sous leurs yeux atteints de strabisme
Considérant tout engagement futile et dérisoire

As tu commis un péché sous l'emprise du démon ?
Dans cette zone mal éclairée et visible à peine
Sous la flûte enchantée ou au son du violon
Te menant vers les oubliettes à reculons
En dépit du désarroi d'un peuple hors d’haleine

En ce lieu toute forme est un spectre équivoque
Sidi Achour toi qui réside sur le mont
Ces génies du mal te défient et nous provoquent
O ! le Saint docteur la ville t'implore et t’invoque
Montre nous deux ou trois hommes qui soient bons

Des formes invisibles gravitent autour du temple
Dans cette étrange caverne à l'abri des curieux
Là, les adeptes de la fratrie se rassemblent
Où coteries et fatuité discutent ensemble
Puis, d'un pas feutré, désertent les lieux

Par ces menées, se côtoient les fourbes et les plus dignes
Dans ce tableau obscur, modulant le son des cloches
Et nous nous demandons vainement, sous quel signe
Comment et qui le monte, le baisse ou l'incline
Un oracle nous le dirait dans le futur proche ?

En sorciers éclairés, détenteurs de la science infuse
Méprisant autrui, profane de leur culte
Dans l'ambages, usant de malices et de ruse
La duplicité pressante, s'impose en intruse
Au peuple novice de la magie et l'art occulte

Laudateurs loquaces, maîtres en art du mensonge
Espérant y faire croire, un monde immunisé
Aux chimères et mirages par des discours étranges
Puisés dans des livres de contes et de songes
Et guérir des jambes en bois illusoirement cautérisées

Des comportements insalubres envahissent la ville
Des ombres inconnues descendant des montagnes
En rang défilant sous nos yeux incrédules
Je ne viens pas jeter des propos inutiles
Sur ces vagues successives déferlant des campagnes
Allant à pas de géant vers le précipice
Guidés par l'inconscient, la tendance au suicide
D'autres à cette allure frissonnent et frémissent
La faible raison, confond initié et novice
Le savant lettré au sot borné et stupide.

Leurs vaines promesses meurent dans le fracas des vents
Les choses qui se sont détruites semblent les séduire,
Pour avoir voulu donner fin à leur vie d’avant
Où se mêle le monde des morts à celui des vivants
Pourtant on reconnaît l'arbre à son fruit mûr.

Au delta des oisifs, royaume de la sottise
Les poissons meurent de belle mort parmi les coraux
L'éthique et le bon sens ne sont plus de mise
La mémoire troublée confond, tout par traîtrise
Les marins exilés du port, suppléés par les ruraux

La cohorte armée de houes, de charrues et d'araires
A leur tête l’exécuteur en main sabre au fourreau
Elle allait allègrement labourer la mer
Les champs laissés jachères dans ce monde agraire
Et le troupeau a pour pâtre un sinistre bourreau

Les braconniers en main une mèche allumée
A l'affût dans les rochers, pêcheurs d'un autre âge
Les entrailles de la mer détonent et crachent la fumée
Soudain, les poissons flottent à la surface écumée
La faune marine soumise à d'horribles carnages

Le doyen jugé inapte, rebelle à l'allégeance
C'est là l'oeuvre des sans patrie, maîtres du bailliage
Relégué sous tutelle, assisté sous régence
Lui consent et admet tout, honnis l'indifférence
De sa carte dessinée, ne reste que le visage

Les apprentis géographes, serviles et aphones
L'avaient choisi comme cobaye pilote
Ses lamentations dans le ciel résonnent
Mais ce gâchis n'émeut et n'offusque personne
Le joyau du littoral fut banni de la côte.
Comme une bête au milieu d'une horde bipède
Qui de leurs Becs souillés, déchiraient sa chair
Le meneur, les griffes acérées, entouré de ses aides
Insensibles à ses râles et ses appels à l'aide
En proie à la fureur, sourds à ses prières

Morcelé dans l'arrangement du territoire
On arracha sa chair lambeau par lambeau
Bien que ce martyr et victime expiatoire
Soit bastion de la résistance, héraut de la gloire
Symbole de la révolution et porte flambeau.

La ville aux mille douars, environnée de bourgs
Tamalous, Bougaroun le cap de téréza
Praxebourg, Beni oualben et Besshambourg
Katina, Oued Zhour limitent les faubourgs
La voici rétrécie de Dar Amar à Téléza

Au bas du mausolée, captif et isolé
Ce dignitaire qu'il ait ce statut humble, modeste
Exilé sur son sol, pensif et désolé
Le coeur en peine et las, l'esprit étiolé
Des Républiques cirtéennes, il en est le reste

Majeur dénié, mais sacralisé en victime
L'amitié le trahit, jeté aux bêtes féroces
Des charognards allés qui nichent dans l'abîme
La pitié l'abandonne au pays des arrimes
Les ténèbres où gîtent chimère et les monstres atroces.

Le déclin de sa richesse, son peuple aux abois
Sa forêt, ses montagnes et ses beaux rivages
Attisent les convoitises des sans nom et sans foi
Pillés par les empochistes au mépris des lois
Laissant aux jeunes le choix entre l'exil ou le chômage

La corniche frôle la nécropole et longe les tombeaux
Cette image macabre voile l'azur des ondes
La colombe s'en va, remplacée par les corbeaux
La ville sur son déclin, le hideux cache le beau
La place comme un nid vide désertée de têtes blondes
On voyait courir des gourdes pleines prés des fontaines
Les résidents astreints à boire un liquide saumâtre
Se payant leur peine, auprès des sources saines
Cette déplorable corvée due à la bévue humaine...
Le fluide du robinet coloré d'albâtre

Les immondices éparses sur les trottoirs et les avenues
Ce spectacle désolant attriste les regards
De ce fleuron prospère qu'est il advenu ?
Traqué par les prédateurs et autres parvenus
Mené vers la descente, sans regrets, sans égards

Le joyau de la cité couronné de fleurs
Le coeur battant de la ville, principale agora
Les glycines du jardin n'exhalent plus d'odeur
Et ce tapis floral a changé de couleur
La place en deuil, déchue de son aura

Son bassin endormi à l'ombre du grand arbre
Moisit et verdit au milieu de l'oubli
Son flanc encore béant, fendu par un sabre
Son tain suranné, se confond au teint de marbre
Au fond l'arbre séculaire fier, mais affaibli

Son rond d'eau tari, où buvaient les hirondelles
Les moineaux nichent dans les murs ébréchés
Le vieux jet d'eau pleure un absent éternel
La colombe en sanglotant disparaît à tire d'aile
Le square de son image ne reste qu'un cliché

Les cimes des ficus jumeaux trônent en altitude
A leur ombre, un citadin pleure sa ville bien aimée
Relique, couple fidèle, accord similitude
Bordés d'arbustes amers, dans la solitude
En profonde léthargie, elle semble inanimée

Les figuiers lisses couvraient l'antre de leurs racines
L'esplanade vacante, abandonnée et déserte
La sublime place n'est qu'une morne ruine
Et son miroir terni, reflète une triste mine
Celle d'un moribond dont on craint la perte
Les anciennes mosquées s'avèrent trop exigus
Pour recevoir l'ensemble des fervents fidèles
Qui accomplissent leur prière sur le parvis contigu
Car le manque d'espace se pose en termes aigus
Malgré l'apport d'un mécène I par une mosquée nouvelle

L'hôtel plein de démoli, autant que de construit
A l'entrée la vieille église au, clocher étêté
Le mythique café Abdou à moitié détruit
Subissant le même sort que le marché de fruit
Et le cinéma plein air en période d'été

Ici bas, exclu et las, le vieux se laisse mourir
Au milieu de l'oubli et le silence de la mort
Et comme ce long silence, ne semble rien dire
Car on renie son passé, on néglige son avenir
Lui, réclame son droit à la veste au revers d'or

Comme résigné à ses misères, sans bruit, sans heurt
Le sage reste coi dans l'attente de l'échéance
Tandis que son âme meurtrie, se fane et se meurt
Le patriarche stoïque, résiste et attend son heure
Mais son visage ridé exprime la déchéance.

On l'insinuait engourdi, parmi les serviles
Soumis, affaibli par les affres de l'indigence
Sa vertueuse source tarie, sa matrice stérile
La négligence et l'abandon le rendraient sénile
Et sur sa face, signée la balafre de l'ignorance

La presqu'île attirante dans sa beauté navrée
L'exode planté dans ses entrailles comme un glaive
Par l'hydre du chômage brisée et désoeuvrée
La mère séparée de ses fils à peine sevrés
Son cri enfoui dans les ondes, meurt dans les grèves

Son ciel gris, voilé d’un crêpe morose
Les émotions intimes rendraient son âme jalouse
Car de son jardin, on dérobait de jeunes roses
Et des fleurs en surgeons ou à peine écloses
Les maraudeurs et chemineaux foulaient sa pelouse
La voici maintenant engourdie, hors de sens
Tolérant l’innomé, les actes exécrables
Prostrée sur les genoux, observant le silence
Nul ne réagit pour sa sauvegarde et sa défense
La voici accablée, exsangue et misérable

Sur la pointe des blagueurs quelques marins musent
Leur regard au loin, à l'horizon se fige
Parfois ils se taisent, parfois ils devisent
Ces hommes au cuir tanné et la tête grise
Quêtent en vain le retour de l'enfant prodige

L'ancêtre es tu chagrin où en état de latence ?
Tes enfants t'ont quitté, ailleurs, ils sont partis
Cherchant mais, sans rupture un droit de vivance
Sans toutefois délier le cordon de l'alliance
Du berceau natal, sa tendresse et ses vertus

Partir pour jamais sans remord ni repentance
Par cet oubli ont ils commis l'inadmissible ?
Quand peut on remédier à cette triste inconscience ?
A son terroir, il répond par l'inconstance
Trouves tu l'attitude des plus irrémissible ?

Enfin il nous répond, excédé par l'outrage
« Je veux bien, toutefois raconter mon histoire
En vain je regarde au dessus des monts et des rivages »
Son coeur empli d'amertume, dans sa bouche l'orage
Et dans ses paroles, la colère mêlée au désespoir

S'il fallait maintenant parler de ma souffrance
J'y crois voir dans mon aire que des étrangers
Se pourrait il que j'eusse parmi ma descendance
Des enfants ingrats, envers le lieu naissance ?
Que j'en doute parfois lorsque j'y veux songer

Cette plaie récalcitrante, continue de saigner
Ne m'en veuillez pas que je sois de la sorte
L'angoisse dans mon âme blessée et dédaignée
Mon coeur en douleur soumis, mais pas résigné
Peut être que l'absent vienne frapper à ma porte
Il nous a parlé, non pas la langue de ce monde
L'oreille n'entend pas ces sons mystérieux
Qui vont frapper dans l'âme une fibre profonde
Pendant qu'il râlait sur le lit immonde
Oh ! Je me souviendrai de ce mal pernicieux

Cet exode mouvant s'insinue dans nos habitudes
Comme servitude du temps depuis des années
La longue absence, la crainte, le souci, l'inquiétude
Car des jeunes se sont égarés dans la multitude
Et sur ce chemin nos ancêtres se sont fanés

C'est la loi divine, la destinée, la providence
Que le Dieu clément oriente et guide leurs pas
Ils savaient tous cette loi et ses exigences
Apprise à la racine, à l'âge innocent de l'enfance
Certains demeurent à jamais, ne te quittent pas

D'autres tentent l'océan du monde sans lune
Ceux favorisés par la providence sont allés au loin
Tout honneur est onéreux, ce revers de fortune
Coûta cher à la vieille cité orpheline...
Leur attention fut absorbée par d'autres soins

Vos enfants vouent à leur terroir une grande passion
Patente, mais sobres se murent dans le silence
Hors, l'auteur du « Viviers de la libération. »
Loue les charmes du pays et l'amour de la région
Et souligne l'émoi des adolescents en partance

En dépit des larmes qui se versaient sur les visages
Nos jeunes comme l'hirondelle achevant à peine sa mue
Qui éprouve ses ailes, prélude au long voyage
Malgré le chagrin des mères que rien ne soulage
Leur âme remplie de peine et tristement émue

L'émigré, hirondelle, son vol est tantôt haut, tantôt bas
De ce long périple, certains ne sont jamais revenus
Une jeune victime des chasseurs, plia l'aile et tomba
Touchée par l’âpre mort, elle gît toujours là bas
Sur un sol étranger, méprisée et inconnue.
On regrette trop tard d'avoir quitté le vieux
Le vieux père dont on est la joie et qu'on délaisse
On est jeune on s'en va sans, détourné les yeux
Notre force en riant vibre dans les cieux
Lui, depuis le départ courbe son front de tristesse

L'aïeul triste, transi, frappé de sinistre
Pourtant à la jeune république il a dû fournir
Hauts gradés, députés sénateurs et ministres
Hommes de sciences et personnages illustres
Tous convaincus qu'une lueur va jaillir

Malgré l'espérance, il se consume dans l'attente
Son regard se fixe, à l'horizon déconcertant
Et ses années coulent avec ses heures de détentes
Sa passion filiale reste toujours latente Mais hélas !
On entend sourdre l'orage montant

Le brave est il arrivait au bout de ses peines ?
Tourmenté par tous, le pauvre de tout lassé
Les fléaux répétés, sur lui se déchaînent
Et raillé par ses amis, sa coupe de fiel pleine
A t'on oublié toute une vie, une jeunesse passée ?

Est elle loin l'époque noire des temps intransigeant ?
Une inextinguible et même soif nous altèrent
Où sont ils passés les ciels 'indulgents ?
Ô seigneur pitié de nos tristes coeurs changeants !
Et pitié de notre cité, en manque de repères

Peut être que l'avenir nous réserve encore
Un retour, le bonheur et quelque espoir
Peut être de la ville un homme que J'ignore
Aurait saisi le message empoignant et fort
Panser cette plaie atonique et ranimer ce mouroir

Tu restes le meilleur souvenir dans nos mémoires
La ville que nos pas visitent que nos yeux désirent
Ensemble nous avons lu quelques pages de l'histoire
Et interrogé le passé dans ton fluide miroir
Qui reflète tantôt la douleur, tantôt le rire.